SOIGNER L'INSTANT
Cette bataille
Mettre du soleil dans nos phrases
De la présence dans nos gestes
Respirer
Dans le creux de l'hiver arracher les voiles de la pleurnicherie
Filer vers les arbres les mousses les lychens et les oiseaux
Coûte que coûte
Allumer nos ventres
L'ignominie générale devra atteindre sa plus haute obscurité
Pour que l'on voie les étoiles
C'en devient risible, leur horreur
Respirer
Et puis les mômes, leurs rires qui claquent
Et puis ce souffle qui prend nos corps
Qui balaie l'espace
Cette sensation de toucher les étoiles
De communier avec les cailloux et les rivières
Quand je pratique le mouvement fluide
Cette respiration
Ce combat
Ce goût de la frappe
Juste pour défendre
Pour préserver
Ce qu'il nous reste d'humain
De vie vraie
Pisser sur les livres qui bavent de bavardages
Sauver quelques ouvrages de lumière
Comme de la nourriture sublîme
Sortir marcher dans les champs de tournesol dessechés
Admirer les oiseaux
Sans calcul
Sans but
Sans pensée
Soigner l'instant
Comme un trésor
Soigner l'instant
Avec fougue
Et cette détermination totale
J'ai vu beaucoup de demi-vivants mon frère
J'ai vu, ma soeur, beaucoup de pitreries, d'excuses pour ne pas plonger, avec urgence dans l'instant
J'ai vu beaucoup d'excuses pour ne pas se donner complètement, corps et âme, à ce geste
Beaucoup d'écoles avec leur hiérarchie, beaucoup de petits chefs
Je suis parti vers les oiseaux, dis-le leur. Annonce-leur cette bonne nouvelle. Tout respire, je tourne lentement dans mon mouvement
fluide.
La vie passe comme une flèche. Alors, l'instant. Alors le rire et l'amitié. Alors l'amour plus fort que tout, de ton ventre à mon ventre de ton corps
à mon corps, de ton coeur à mon coeur. Et cette pensée de Dôgen, pour finir: l'univers entier tient dans la pensée des fleurs.
SYLVAIN FARHI
L'OCEAN
L'océan
Aura laissé
Sur nos coeurs
Des empreintes de pieds
Des paroles reines
De racines de cailloux
Des solos muets
Et ce goût
Pour la vie large
L'océan
Que nous avons longé si longtemps
Cet été
En marchant
Nous a communiqué
Son immensité
A réveillé en nous
L'envie de frapper
Pour oser avancer
Vers la vie large
L'océan
Que nous avons longé si longtemps
Cet été
Nous a communiqué sa force
Cette violence sans âge
Cette foutue générosité
Donner donner sans compter
L'océan
Que nous avons longé si longtemps
Cet été
Nous aura lavé
Aidé à oublier
A persévérer
L'océan nous aura réveiller les tripes
L'océan nous aura rappelé
De se sentir minuscule
Que sous les vagues déchainées
Les rires des mouettes
Et les marées
Est un fond calme
Et apaisé
L'océan
Que nous avons longé si longtemps
Cet été
Nous aura réappris les fées
Les joues salées
Les baisers impudiques
Dans l'obscurité
L'océan
Que nous avons longé si longtemps
Cet été
Nous aura réappris à aimer
Le vent
L'effort musculaire
Et la sueur
L'océan
Nous aura ramené
A la vie large
SYLVAIN FARHI
LA PLUIE SUR LE LAC
Il y a eu la pluie sur le lac
En flic flac
Et nous sous les grands arbres
Qui regardions la pluie tomber
Gifler
Il y a eu la pensée de l'impeccable
Sur laquelle je me suis essuyé les pieds
J'ai choisi le rouge-gorge comme maître artisan
La pluie encore
En rafales de flic floc
Et T qui dit j'aime plonger nu
Dans le lac glacé
Et regarder sous l'eau la pluie qui tombe à la surface
Il y a eu cette marche à travers tout
Parce qu'on s'était perdu
Et puis tes yeux
La gorge serrée
Cette putain d'émotion
Il y a eu la vie
T causait V l'écrivaine punky
Tous les gars à peu près propres sur eux
Lisent V
Moi je me souviens de sa force de frappe
Sa façon de faire claquer les phrases au fouet
Les idées j'oublie toujours
Le personnage principal c'est le style
Tout ça tout ça
Et nos pieds qui foulent la terre
Les feuilles craquent
Et cette foutue envie de te faire l'amour
Dans la boue contre un tronc
S'aimer comme les ours les loups
Simple et sauvage
Tout ça tout ça
Et la pluie qui continue de tomber
La pluie sur le lac
Comme une symphonie
Un concert japonais
Il y a eu ton sourire
Tes cheveux et cette panique immense
Qui s'est enroulée autour de mon cou
Quand tu as lâché ces mots
J'ai délaissé
L'impeccable
L'imperfection fait la beauté c'est le rouge-gorge qui me l'a dit
L'automne
Sa majesté
Nos pieds qui foulent la terre
Et puis cette pluie sur le lac
Qui claque
Qui flic floc flac
Qui dit tout
Qui ôte tous les souhaits
Tous les regrets
Qui rend beau même le coeur qui pince
Et soudain la pluie s'est arrêté
De tomber
Le silence s'est ouvert
A écarté les jambes
Une larme a roulé sur ma joue
C'est toujours comme ça la beauté
Et puis le feu
Qu'on a allumé
En rentrant
Au chalet
SYLVAIN FARHI
CETTE SOURCE
C'est à partir de cette source que je veux t'écrire
Avec des cendres sur la bouche
Avec du rire
C'est à partir de cette source que je veux te dire je t'aime
Pas comme un sirupeux machin sentimental
Mais de tout mon corps de toute ma peau
Tu sais quand je meus en douceur dans l'espace
Tout commence à frémir
Et alors mon expir, mon inspir deviennent des danses
Je spirale en lenteur
Et c'est la mélodie des fleurs
Qui me gagne de bout en bout
Il y a bien entendu cette droiture cette terre ce ciel et ces racines
Il y a bien entendu cette formidable senteur
Il y a ce parfum de toi
Ce musc
Cette gorgée de vie
A petits flots
Quand cela coule et coule
Et que je te remets à la lune à l'oiseau
A l'enfant
J'ai vu la coriace
Elle sait se défendre elle ne sait faire que cela
Aimer c'est une autre affaire c'est se tenir en ce lieu
Où tu t'effaces
Où le mouvement te prend petit à petit
Te comble telle une aube
Souviens-toi que chaque instant est un royaume
SYLVAIN FARHI
LORS DU DERNIER SOUPIR
Y a tout qui craque les prix qui flambent
La peur qui monte
La rage qui bourdonne
Des poings se serrent
Au fond des blousons
La culture est de plus en plus creuse
De plus en plus pute
L’automne s’en fout
On marche sous le ciel bleu
Les feuilles fauves
Nous donnent la réponse des anges
Je ne sais rien
On finirait par se plaindre
Heureusement lors du dernier soupir
Tout nous sera enlevé
On s’en ira tranquille vers les étoiles
On balancera des chansons tendres
Le sourire aux lèvres
Glissant vers l’infini
Toute la course sera calmée
Eventrée dans les plumes
Heureusement lors du dernier soupir
Il n’y aura ni électricité ni choix à faire
On mélangera nos haleines
Nos cheveux
Nos amours et nos dents
On tressera des soleils frémissants
On aura des nombrils planètes
Et le dessous des tables
La correction
Tout partira en fumée
On ne fait que passer de toute évidence
Il nous reste à sortir de nos crânes
A tisser des liens
A refuser
Tout le foutraque
J’ai quelques poignées de mots
Mon cahier
L’automne, ses feuilles et ses rousseurs
Sont mes alliés
On oubliera tout
Lors de notre dernier soupir
Tout nous sera enlevé
Ça m’adoucit de me dire ça
De sentir ça
Je mets ma vie en poésie
Je danse à chaque seconde avec des tigres aux dents de sabre
La beauté exige le prix fort
Un gamin m’a écrit Manneken pis pisse dans l’œil de la vérité
Tu veux briser les habitudes
Prendre un autre chemin
Nous serons nomades un de ces quatres
Nos verbes feront valser le vent
Prends ma main
Osons l’amour
Pas ce truc morne et mièvre
L’amour avec des yeux de cendre
Une bouche rouge et un ventre nu
Il nous reste à chanter
Et l’instant comme un océan
Lors de notre dernier soupir
Tout nous sera enlevé
Ça m’adoucit de me dire ça
De sentir ça
©SYLVAIN FARHI
AUJOURD'HUI EST UN BON JOUR
Il y a cette façon d'envisager l'écriture
Comme un remède
Cette façon de faire danser les phrases et puis de les mettre en bouche
Comme un remède
Il y a cette façon de se promener
De capter le dessin du carré de mousse sur la pierre
La fatigue solaire
Dans les rides du visage du grand-père
Il y a ces mots dans la salle de classe qui ont claqué
Qui ont retourné ton estomac
Ont flanqué à la tièdeur
Un retourné facial
Et m'ont inondé de douceur
Ce matin est un bon matin
Un matin généreux
Ma mélancolie
Est restée au lit
Je me suis arraché à la paresse
Pour entrer dans la vie
SPLASH!
J'ai vu un môme avec un sein en plastique sur la tête
Un autre avec un goéland dans les bras
Pendant qu'il écrivait
J'ai vu une petite nana
Haute comme trois pommes
Boxer les syllabes
Mettre le feu aux voyelles
Et danser avec l'instant
Le soleil dessinait des poèmes de lumière
Sur les pierres de l'école
Quelque chose s'est envolé
Quelque chose ou quelqu'un je ne sais
Nous a emmené vers le large
Aujourd'hui est un bon jour
Je t'aime
SYLVAIN FARHI
VOIR UNE FEMME NUE
Voir une femme nue
C’est une merveille
Et c’est l’inconnu
Qui joue du soleil
Sur le piano du temps
La fleur de l’instant
Voir une femme nue
Dans le bleu de la nuit
Oh c’est l’infini
Qui doucement remue
Vous passe sous la peau
Vous caresse les os
Voir une femme nue
Dans le rose du soir
C’est l’île au trésor
C’est jeter un sort
Voir une femme nue
C’est la perle rare
Voir une femme nue
C’est se souvenir
De qui tu étais
Avant de devenir
De devenir quelqu’un
Quand tu étais rien
Que tu avais tout
Et que tout t’aimait
Et que rien ne manquait
Voir une femme nue
Voir une femme nue
C’est l’eau à la bouche
L’amour qui fait mouche
Voir une femme nue
Voir une femme nue
C’est pure gaieté
Dans les veines champagne
Se met à pétiller
Voir une femme nue
C’est la fragilité
Plus forte que l’épée
Les yeux étoilés
Pleins d’immensité
Voir une femme nue
Voir une femme nue
C’est se mettre à prier
Même quand on sait pas
Prier Dieu sait quoi
Les fous et les rues
Les oiseaux et les malfichus
Voir une femme nue
Voir une femme nue
C’est le diable qui accouche
D’un ange en babouches
C’est une photo d’Edouart Boubat
La vacance qui va
Voir une femme nue
C’est la fin des guerres
Les roses rouges sur les revolvers
Voir une femme nue
C’est dans un bain mousse
Le bonheur qui glousse
Voir une femme nue
C’est perdre ses mots
Les doux puis les gros
C’est rester bouche bée
Voir une femme nue
Oh c’est la beauté
Qui joue du Django
Sur l’œil fasciné
Du mont des Cadeaux
Voir une femme nue
C’est l’origine du monde
La lumière qui inonde
Jusqu’au bout des tongues
Voir une femme nue
C’est les yeux pinceaux
Tracer ses contours
Dessiner l’amour
Voir une femme nue
C’est être inondé
De la tête aux pieds
Voir une femme nue
C’est ses jambes qui jouent
Qui jouent du Django
Sur toute ta peau
Voir une femme nue
C’est apprendre à lire
C’est se retrouver
C’est mille ans d’gagné
A l’école du sourire
Voir une femme nue
Voir une femme nue
C’est l’eau à la bouche
Le soleil qui se couche
C’est Gainsbourg pour Birkin
Un tableau de Klimt
Voir une femme nue
C’est les yeux pinceaux
Ressentir l’écho
Des courbes et des lignes
Des lignes féminines
Jusque dans les os
C’est le frémissement
Et c’est le printemps
Et c’est inouï
Et c’est inédit
Voir une femme nue
Voir une femme nue
C’est presque avoir peur
Peur de déranger
Sur la pointe des pieds
L’or de la beauté
Voir une femme nue
C’est rester bouche bée
Tout empli d’été
De la tête aux pieds
Voir une femme nue
C’est s’émerveiller
Voir une femme nue
C’est la délicatesse
Qui jazze l’imprévu
Qui à chaque respiration
Invente un son neuf,
Un son neuf et rond
Voir une femme nue
C’est presque la mort
Lorsque tout s’apaise
Lorsque tout s’embrase
Qu’on embrasse les nues
Qu’on se retrouve à l’aise
Voir une femme nue
SYLVAIN FARHI
CHARLOT
J’ai un faible
Pour les petits poèmes
À chaussures crevées
À pantalons trop grands
Qui marchent comme des
Canards boiteux
J’ai un faible pour le
Côté Charlot de l’existence
Pour le pissenlit mal foutu qui
Se fraie un chemin
Entre les dalles de béton
SYLVAIN FARHI
SEPTEMBRE AU SOLEIL
L'imaginaire ne sera plus jamais cette folle du logis
Nos gorges auront de l'océan
Nous viderons nos stylos comme on tire des rafales
Je saignerai du rêve
Mais je me relèverai
Tu m'auras rappelé à ma fierté
Je te regarderai droit dans les yeux
Droit dans le coeur
Tu retrouveras toute ta noblesse
Et nous filerons vers l'or de la vie
Nous garderons secret le mystère
Nous le chouchouterons
Du côté des malades, des vieux et des enfants cancers
Nous trancherons la gorge à cette culture fadasse
Celle qui cherche à distraire
Nous jonglerons avec les têtes de quelques messieurs grands
Nous nous placerons du côté des enfants
Résolument
Du côté de l'eau et des goélands
Nous bafferons la moiteur de ton allure bof
Et je collerai mon poing dans tous tes humours noirs
Mon rire n'aura pas la couleur de l'espoir
Il n'espérera rien
Il ne dénoncera rien
Il n'attendra rien
Il claquera à la gueule de la peur
Et puis je partirai mains dans les poches
En sifflant tu verras
La spiritualité n'aura plus cette mine sérieuse
Elle osera enfin avouer qu'elle ne sait rien
Et qu'il n'y a ni plus haut ni plus loin
Nous serons amis des cerfs des mousses et des vallées
Amis de nos rythmes cardiaques
Nous tremperons nos pieds dans les rivières
Je t'aimerai
SYLVAIN FARHI